Politique

La remobilisation de l’armée: entre nécessité et démagogie 

De 1994 à 2017, cela fait exactement 23 années depuis que les forces armées d’Haïti furent démobilisées. Depuis, le pays s’est contenté que de la police nationale (PNH), créée en juin 1995, et des différentes missions spéciales des nations unies notamment la MINUSTAH qui fait place désormais à la MINIJUSTH. Jovenel Moïse comme son prédécesseur, Michel Joseph Martelly, a relancé le débat pour la remobilisation de l’armée. En effet, le 18 novembre 2017, date marquant le 214ème anniversaire de la bataille de Vertières,le président Jovenel Moïse procéda à la remobilisation officielle des forces armées d’Haïti au Cap-Haïtien. Une de ses promesses de campagne qu’il décida de mettre coûte que coûte en exécution.

La constitution haïtienne de 1987, en ses articles 263 à 267. 3, reconnaît que la force publique se compose de deux corps distincts : les forces armées d’Haïti et les forces de police. Effectivement, Jovenel ne fait que respecter la constitution en remobilisant l’armée. Mais la conjoncture politique actuelle ne joue pas en sa faveur. Certes, le parlement haïtien a déjà donné son avis sur la question tout en ayant des réserves sur la formation du haut état-major de l’armée. Jodel Lesage, qui jusqu’à présent, assure l’intérim en attendant l’approbation des parlementaires. Parallèlement à la police nationale, cette force devra servir les intérêts du peuple. En œuvrant dans l’environnement, lors des catastrophes naturelles et aussi la surveillance des frontières.

« Depuis sa création, pendant l’occupation américaine, l’armée d’Haïti a toujours joué le rôle d’arbitre dans la plupart des décisions politiques du pays », lit-on dans un éditorial de Lemoine Boileau paru le 24 novembre 2017 dans les colonnes du nouvelliste. En restituant les forces armées d’Haïti, le président Jovenel s’est vu comme un président en quête d’alliés politiques pour conserver le pouvoir. Un principe lu dans Le Prince de Nicolas Machiavel. Responsable de nombreux coups d’état, notamment celui à l’encontre de Jean-Bertrand Aristide, le 30 septembre 1991, l’armée a bien une mauvaise posture sur la scène politique haïtienne. Elle devra être nécessairement apolitique.

Les méthodes employées pour la remobilisation de l’armée sont jusqu’à dâte controversées. La phase du recrutement, le haut commandement désigné par le président lui-même et les instrastructures quasiment inexistantes pour la mise en place de cette armée. « Une milice pour protéger le pouvoir », voilà comment Mario Andrésol, ancien chef de la police, voit l’initiative du président Jovenel Moïse à remobiliser l’armée. Les acteurs politiques ont un poids considérable dans la balance des décisions concernant la nation. L’opposition se nourrit quand même de cette décision du président qui « ne tient pas compte des priorités de la population », selon Moïse Jean-Charles, leader du parti Pitit Desalin.

La fonction de cette force armée nouvellement remobilisée est encore floue. Avec une estimation entre 3 mille et 5 mille hommes et femmes, l’armée sera là pour appuyer l’action de la Police nationale d’Haïti selon le ministre de la défense, Hervé Denis. Un ensemble de militaires spécialisés en corps du génie, médical et en aviation. Mais avec quel fond va-t-on les entretenir ? Le budget pour l’exercice fiscal de l’année 2017-2018 a bien suscité nombre de débats. Le ministère de la défense a profité d’une majoration de 535 millions de gourdes pour le recrutement des premiers soldats. Jusqu’à présent aucune construction adéquate, en l’occurrence, les casernes pour abriter ces soldats, n’a encore été construite. La police déjà en manque de logistique devra, sans doute, hypothéquer ses maigres ressources pour l’entretien de cette armée. Un détail important qu’aurait dû penser le président Jovenel Moïse avant de se lancer dans cette guerre.

La société civile a aussi son mot à placer. Le président Jovenel Moïse a omis de consulter les différentes structures du pays avant de penser à cette remobilisation. Sans aucun consensus national, cette armée se voit être comme une chose imposée à la population haïtienne qui ne garde que des mauvais souvenirs de cette entité.

L’heure n’est pas propice aux forces armées. Pas encore. Moins d’une année au pouvoir, le président ne fait qu’accumuler des décisions démagogiques et impopulaires hypothéquant ainsi l’avenir du pays. On ne saurait mettre la charrue avant les bœufs. La misère, la crise économique, l’exil des concitoyens pour le Chili, la crise à l’Université d’Etat d’Haïti, le programme PSUGO rongeant le système éducatif haïtien, les dégâts causés par le cyclone Matthew… tant de défis qui attendent l’administration de Jovenel Moïse qui n’aura que 5 ans. La remobilisation de l’armée n’est malheureusement pas une urgence de l’heure. Encore une décision démagogique de la part du chef de la nation.

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